dimanche 25 avril 2021

Beethoven, Napoléon et la Troisième Symphonie ...

Deux incontestables Géants de l'Histoire : l'un Allemand était Musicien, l'autre Français était Militaire. Ils vécurent à la même époque mais ne se rencontrèrent jamais. Le premier eut une véritable vénération pour le second, avant de finir par le renier. Il s'agit respectivement de Ludwig van Beethoven (1770-1827) dont on a célébré le 250e anniversaire de la naissance l'année dernière et de Napoléon Bonaparte (1769-1821) dont on célèbre le bicentenaire de la mort dans seulement quelques jours (très exactement le 5 mai 2021).

Beethoven a 19 ans lorsque la Révolution Française éclate en 1789. Les idéaux de cette Révolution traversent rapidement les frontières et parviennent ainsi à Bonn (Allemagne) où il réside. Alors jeune musicien, Beethoven est immédiatement séduit par le symbole très fort des trois mots "Liberté, Egalité, Fraternité" ...

En 1792, il déménage à Vienne pour se perfectionner auprès du célèbre Joseph Haydn. C'est là qu'il entend parler d’un certain général Napoléon Bonaparte, qui a le même âge que lui (à une année près) et dont on dit qu'il est de plus en plus populaire en France. Ayant une bonne maîtrise de la Langue de Molière, Beethoven est souvent convié à des réceptions dans la résidence de l’Ambassadeur de France à Vienne, le général Bernadotte, un très proche de Bonaparte. C'est ainsi qu'il s'informera des victoires militaires de celui-ci (Campagne d'Italie de 1796, Campagne d'Egypte de 1798, Expédition en Syrie de 1799), de son coup d'État du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799) et de sa désignation au poste de Premier Consul de la République. Il est tout simplement fasciné par celui qu'il considère comme l'incarnation des idéaux de la Révolution Française, portant les valeurs de Liberté/Egalité et capable d'éradiquer la monarchie héréditaire. 

Etant parvenu à créer ainsi des liens avec la France, Beethoven rêve alors de venir s'installer et composer à Paris, ville de la Liberté. Son ambition est donc de séduire Bonaparte en qui il voit déjà un nouveau Prométhée, le libérateur de l’Humanité (1). Pour cela, il doit commencer par se faire remarquer de lui. 

C'est pourquoi, en 1803, il commence par dédier au violoniste Rodolphe Kreuzter (2), un musicien proche de Bonaparte rencontré en 1798, une Sonate pour violon et piano (connue depuis comme "Sonate à Kreuzter"). Malheureusement cela reste sans effet, montrant que le Militaire ignore toujours le Musicien. 

Beethoven a alors l'idée d'une œuvre grandiose, sorte de Grande Symphonie, dédicacée à l'homme pour lequel il a tellement d'admiration. Il la veut imposante, beaucoup plus longue que la moyenne. Elle fera une large place aux cors et aux cuivres, pour bien retranscrire la vie du Héros et l'atmosphère de la Révolution. Enfin et non des moindres, elle sera intitulée "Bonaparte". Il se lance alors, sans plus tarder, dans l'écriture de sa partition ...

Vers la fin 1804, alors que le projet est pratiquement achevé, le compositeur apprend que Bonaparte, le chantre de la Liberté, s'était sacré lui-même Empereur des Français sous le titre de Napoléon Ier (2 décembre 1804). Beethoven est effondré car, pour lui, l'Empire ne peut être compatible avec la Démocratie et les autres idéaux de la Révolution

Tous ses espoirs sont anéantis. Il entre dans une colère noire et s'écrit, fou de rage : "Alors, ce n'était, lui aussi, qu'un homme comme les autres ? Maintenant, à son tour, il va piétiner les droits des gens et ne plus penser qu'à satisfaire son ambition personnelle. Il va devenir un tyran !"

Il est si furieux qu'il rature le nom de Bonaparte du manuscrit de sa partition avec force, au point de briser sa plume et de trouer le papier (cf. photo ci-dessus). Il change aussitôt le nom de sa Symphonie (lequel était "Bonaparte") pour celui de "Symphonie Héroïque", avec en sous-titre : "A la mémoire d'un grand homme". Il en supprime également la dédicace à Bonaparte et dédie désormais cette œuvre au Prince Joseph Franz von Lobkowitz, l'un de ses mécènes.

Il n'en termine pas moins cette nouvelle "Symphonie Héroïque", laquelle comprend quatre mouvements:

  • Le premier mouvement, solennel et lyrique, fait le portrait de Bonaparte en célébrant l'énergie de ce héros de la Révolution. 
  • Le second mouvement, tragique, est une marche funèbre évoquant la mort de ce même héros (3).
  • Les troisième et quatrième mouvements, respectivement joyeux et majestueux, sont optimistes et porteurs d'espoir avec notamment un final très heureux évoquant "Les Créatures de Prométhée" (4).

La première de cette "Symphonie Héroïque" a lieu publiquement, le 7 avril 1805, au Theater an der Wien ...

Beethoven continue néanmoins à développer des sentiments anti-français, d'autant plus que, le 14 novembre 1805, Napoléon Ier, dans sa campagne de conquête de l'Europe, fait son entrée à Vienne à la tête de la Grande Armée. Mais, pour l'Empereur, la chance finit par tourner. Les premières défaites arrivent, ne laissant pas Beethoven insensible. C'est ainsi qu'il compose en 1813 l'œuvre orchestrale "La Victoire de Wellington", pour célébrer la victoire du Duc de Wellington sur les armées napoléoniennes à Vitoria/Espagne (le 21 juin 1813) ...

Bien que souffrant de plus en plus de surdité, il continue à composer. Il est désormais célébré comme un Compositeur d'Etat et interprète ses œuvres devant le gratin de l'aristocratie viennoise. Il sera même la "Star" du Congrès de Vienne (1814-1815) où se réunirent toutes les puissances victorieuses de Napoléon, pour statuer des nouvelles frontières de l'Europe. 

Napoléon quant à lui abdiquera le 22 juin 1815, après sa défaite à Waterloo (18 juin 1815). Il sera exilé sur l'île de Sainte-Hélène où il décèdera six ans plus tard, le 5 mai 1821, à l'âge de 51 ans. 

En apprenant cette nouvelle, Beethoven n'exprimera aucune émotion particulière et se contentera de prononcer ces mots : " Il y a 17 ans que j'ai écrit la musique qui convient à ce triste événement !" Il faisait bien entendu allusion au deuxième mouvement de cette "Symphonie Héroïque" (Marche Funèbre) dont voici une somptueuse interprétation par l'Orchestre Philharmonique de Berlin, sous la direction du regretté Claudio Abbado:


Beethoven mourut lui-même, le 26 mars 1827, à l’âge de 56 ans. Ses funérailles eurent lieu à Vienne, le 29 mars 1827, en présence de plusieurs milliers de personnes ...

Chaque année, le Magazine Bachtrack fournit des statistiques du Monde de la Musique Classique, tant dans la programmation des concerts et autres représentations que dans l'activité des chefs d'orchestre et des artistes. Les chiffres de 2019 établis sur 34 648 concerts (les chiffres de 2020 ne sont pas significatifs, compte tenu de la pandémie en cours) indiquent que Beethoven occupait la première place (devant Mozart et J.S. Bach) dans le classement des compositeurs les plus joués. Par ailleurs, c’est également sa Symphonie Héroïque qui arrivait en tête des œuvres les plus interprétées en concert.

Cette symphonie est effectivement l'une des œuvres les plus populaires de Beethoven (le compositeur lui-même la préférait à toutes ses autres symphonies). Elle est même considérée par certains comme annonciatrice du romantisme musical. La voici, dans son intégralité, dans une interprétation de l'Orchestre Philharmonique de Vienne sous la direction de Christian Thielemann


Et cela, dans le cadre somptueux de la Salle Dorée du Musikverein de Vienne, là-même où, le 1er janvier de chaque année, a lieu le très célèbre Concert du Nouvel An (lequel est télévisé dans le monde entier) ...

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(1) : Prométhée est l'un des Titans de la Mythologie Grecque, connu pour avoir dérobé le feu sacré de l'Olympe pour en faire don aux humains.
(2) : En 1801, 
Rodolphe Kreutzer sera nommé Premier Violon à l'Opéra National de Paris; il rejoindra ensuite la Chapelle de Napoléon.
(3) : Au départ, ce second mouvement devait être une marche triomphale. Beethoven la supprima en apprenant que Bonaparte était devenu Napoléon Ier. Cette marche triomphale constituera le final de la Cinquième Symphonie.
(4) : Unique Ballet de Beethoven, composé entre 1800 et 1801.