Le Plan Marshall ou ERP (European Recovery Program/Programme de Reconstruction Européenne) est le plan élaboré en 1947 et approuvé par le Congrès des Etats-Unis en avril 1948, pour participer à la reconstruction de l'Europe au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Ce Plan eut un impact considérable sur le sort du monde libre. A ce titre, ce petit article se propose d'en rappeler (modestement) l'essentiel: d'abord sur son origine et ses objectifs, puis sur sa mise en œuvre (sans occulter les critiques qu'il suscita) et enfin sur ses retombées.
En mai 1945, au lendemain de la capitulation allemande, l'Europe entière était à genoux. L'Allemagne était complètement exsangue et sa population mourrait de faim. De l'Atlantique à l'Oural, tout était détruit et devait être reconstruit. Partout la pénurie (charbon, nourriture et même eau) faisait des ravages et les peuples étaient à bout de forces.
Le 12 mars 1947, alors que l'Amérique était à son apogée (son outil de production battait son plein, au risque même d'une surproduction), le Président Harry Truman s'adressa au Congrès Américain. Il fit une description précise de la situation apocalyptique de l'Europe et expliqua que la menace absolue était le communisme. Celui-ci se répandait comme une épidémie et plusieurs pays étaient déjà impactés (Italie, France, Grèce et Turquie); il fallait protéger immédiatement les peuples contre sa contamination.
Le Général George Marshall (1880-1959), héros de la Deuxième Guerre Mondiale et désormais à la tête de la diplomatie américaine, fut alors chargé d'élaborer une solution pour sortir l'Europe du marasme. Le 5 juin 1947 à l'Université de Harvard, où il venait d'être fait Doctor Honoris Causa, George Marshall GM annonça un Plan de plusieurs milliards de dollars dans le but principal était de reconstruire l'Europe, pays de l'Est inclus, pour la sauver de la faim, de la pauvreté, du désespoir et du chaos (1).
Ce Plan, qui allait très rapidement prendre le nom de Plan Marshall, avait aussi deux autres objectifs plus implicites: faire obstacle à la menace du Communisme en Europe et assurer un immense marché à l'outil de production des Etats-Unis.
La mise en œuvre du Plan Marshall (1948-1951)
Le Plan Marshall fut immédiatement refusé par Staline, qui voyait en lui une menace pour tous les pays de l'Est (un moyen de conquérir le glacis de sécurité de l'URSS). En octobre 1947, il ordonna à tous les Partis Communistes d'Europe de s'y opposer. Aussitôt des grèves se déclenchèrent partout, notamment en Italie (Métallurgie, Agriculture) et en France (Mines, Industrie, Education Nationale, Banques), dénonçant principalement les risques d'une "Colonisation Yankee" (2) ...
Finalement, seize pays acceptèrent le Plan Marshall : Autriche, Belgique, Danemark (avec les îles Féroé et le Groenland), France, Grèce, Irlande, Islande, Italie (et San Marin), Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal (avec Madère et les Açores), Royaume-Uni, Suède, Suisse (avec le Liechtenstein) et Turquie. En fait, il s'agissait de tous les pays ayant eu la chance d'échapper en 1945 à l'occupation soviétique. En 1949, ces pays furent rejoints par la République Fédérale Allemande (RFA).
Le tableau suivant montre les montants alloués (par ordre décroissant) aux pays concernés. Les principaux bénéficiaires furent la Grande Bretagne (24% du montant total alloué), la France (20%), l'Italie (11%), l'Allemagne de l'Ouest (10%), les Pays Bas (8%), la Grèce (5%), l'Autriche (5%), la Belgique (4%) et le Luxembourg (4%).
Bénéficiaires du Plan Marshall (3) | En Millions de $ US |
Royaume-Uni | 3 189,80 |
France | 2 713,60 |
Italie - incluant Trieste | 1 508,80 |
Allemagne (RFA) | 1 390,60 |
Pays-Bas - incluant l'Indonésie (3) | 1 083,50 |
Grèce | 706,70 |
Autriche | 677,80 |
Belgique-Luxembourg | 559,30 |
Danemark | 273,00 |
Norvège | 255,30 |
Turquie | 225,10 |
Irlande | 147,50 |
Suède | 107,30 |
Portugal | 51,20 |
Islande | 29,30 |
Union Européenne des Paiements (UEP.) | 407,00 |
Total pour tous les pays | 13 325,80 |
13 milliards de dollars US 1947 = 150 milliards d'euros 2021 |
En contrepartie de l'aide fournie, les Etats-Unis exigèrent que :
- La répartition de l'aide soit effectuée par l'Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE), créée à cet effet et devenue aujourd'hui l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques).
- L'argent accordé serve à acheter des produits américains. Cela permettrait à l'industrie et à l'agriculture américaines d'écouler les surplus de leurs énormes productions de guerre, voire de continuer à produire pour rééquiper l'Europe.
- Les empires coloniaux ouvrent leurs frontières à ces mêmes produits américains et exportent à moindre coût leurs ressources minières les plus riches vers les Etats-Unis. Dans le cas de la France, il s'agissait du Manganèse du Maroc, du Nickel de Nouvelle-Calédonie, du Mica de Madagascar et de l'Etain d'Indochine.
- Les dettes contractées par le pays recevant l'aide soient émises en or ou son équivalent en dollars (4).
- Les bases du capitalisme libéral soient restaurées. De ce fait, cela venait à renoncer à étendre les nationalisations réalisées dans les années précédentes.
- La bonne marche de l'ensemble des opérations soit contrôlée par l'ECA (Economic Cooperation Administration/Administration de Coopération Economique) créée à cet effet.
Les critiques faites au Plan Marshall
Comme expliqué plus haut, il y eut immédiatement l'opposition des Socialistes et des Communistes, notamment sous la pression de l'URSS, qui y virent un instrument de domination au bénéfice des Etats-Unis. Mais les tenants du libéralisme économique eux-mêmes émirent des réserves à l'encontre du Plan Marshall, dont les suivantes:
- Sa mise en place un peu tardive (trois ans après la fin de la guerre), la faute en incombant au Congrès Américain qui avait tardé à donner son approbation, en avait limité les effets. De fait, en 1948, beaucoup d'infrastructures avaient été remises en ordre et la production industrielle, dans l’Europe de l’Ouest (hors Allemagne), était déjà supérieure de 20% en moyenne à celle de 1938.
- Il rendait plus facile la reconstruction des pays développés (infrastructure existante significative, main d'œuvre qualifiée) que le développement des pays du tiers-monde.
- On le considérait comme un plan de mise sous tutelle économique et culturelle des pays "libérés" par l'armée américaine.
- Il était un formidable outil de propagande en faveur des Etats-Unis, à l'échelle d'un continent, les pays bénéficiaires étant contraints de promouvoir le "Way Of Life" américain :films, expositions, musique, etc. (6)
Les retombées du Plan Marshall
Il est indéniable que sur les plans politique et économique, le Plan Marshall fut un véritable succès. En effet, il permit essentiellement:
- De reconstruire relativement vite l'Europe, du moins celle des 16 pays qui en bénéficièrent. Ceux-ci connurent une croissance de leur PNB (Produit National Brut) d'environ 32%, entre 1948 et 1951.
- De redonner la foi en l'avenir, aux peuples concernés et de les inciter, avec le redémarrage de leur industrie et le retour de la croissance, à résister fortement à la progression des idées communistes et soviétiques.
- De rapprocher ces pays européens entre eux, au sein d'un bloc occidental prospère, pacifique, uni et basé sur la libre entreprise.
- De restaurer la confiance dans les marchés et institutions, ce qui participa à la période faste des "Trente Glorieuses" (du lendemain de la Seconde Guerre Mondiale jusqu'au choc pétrolier de 1973).
- De satisfaire les ambitions de mondialisation des Etats-Unis et de légitimer l'universalisme du rêve américain.
En conclusion
L'Histoire retiendra que le Plan Marshall fut bénéfique à la fois à l'Europe et aux Etats-Unis. Pour ce qui est de l'Europe, il permit un redressement très rapide des économies des pays concernés, en écartant par là-même l'arrivée au pouvoir des partis communistes (tout particulièrement en France et en Italie). Pour ce qui est des Etats-Unis, il évita à leur économie de tomber en récession, à cause d'une surproduction massive qu'aurait pu entraîner la cessation des hostilités.
Par ailleurs, pendant près de 40 ans et jusqu'à la chute du Mur de Berlin, les pays socialistes observèrent l'Occident "en se posant bien des questions". Et personne ne fut dupe quant à la finalité du Mur en question: il fut bien érigé pour empêcher les gens de fuir de l'Est vers l'Ouest et non pas dans le sens contraire.
En France, deux plaques (l'une en Anglais et l'autre en Français) commémorant le cinquantième anniversaire du Plan Marshall furent apposées par "The American Club of Paris", le 12 décembre 1997, à Paris (258 rue de Rivoli).
Quant au Général George Marshall lui-même, il reçut le Prix Nobel de la Paix le 19 décembre 1954 ...
Sources | |
Guerre Froide : En quoi consistait le Plan Marshall ? | |
Le Plan Marshall (Wikipédia) | |
Le Plan Marshall (Définition, Mise en œuvre, Apports, Critiques) | |
Le 3 avril 1948, le Plan Marshall entre en vigueur (Le Figaro) |
(1) : L'Administration Truman le préféra au plan Morgenthau qui recommandait de diviser l'Allemagne en deux État indépendants, de lui faire payer de fortes réparations de guerre aux pays vainqueurs et de détruire toutes ses industries lourdes. De fait, ces mesures rappelaient trop ce qui avait été imposé à l'Allemagne à la fin de la Première Guelle Mondiale avec des effets désastreux (hyperinflation, entrave de la reprise économique, sentiment de profonde injustice) qui allaient faciliter la prise du pouvoir par les Nazis.
(2) : A Paris, on compta jusqu'à 3 millions de grévistes. De nombreux actes de sabotage furent commis, ce qui aboutit à une perte de l'appui de la population.
(3) : En fait, la Suisse, n'ayant pas besoin d'aide, deviendra simplement membre de l’OECE, mise en place par le Plan Marshall.
(4) : Le trésor américain versait des fonds en dollars à la Banque Centrale du pays bénéficiaire. Celle-ci prêtait au Trésor Public local qui accordait ensuite des prêts aux entreprises locales. Avec les sommes empruntées, les entreprises achetaient à la Banque Centrale des dollars qui leur servaient à acquérir des produits américains. Le pays bénéficiaire récupérait sous forme d'intérêt les sommes versées aux entreprises et remboursait ensuite, en dollars, le Trésor des Etats-Unis.
(5) : Pas moins de 2 500 wagons furent livrés à la seule SNCF. Ils furent montés en un temps record, à raison de 3 wagons toutes les 2 heures.
(6) : Le Plan Marshall imposait de projeter chaque année, dans les salles de cinéma, au moins 30 % de films produits à Hollywood.