dimanche 3 juillet 2022

La vie de "Galibot" au XIXe siècle ...

Au début du XIXe siècle, à l'avènement de l'exploitation minière, des milliers d'enfants furent employés dans les HBNPC (Houillères du Bassin du Nord-Pas-de-Calais). On les appelait les "Galibots" (ce qui signifiait "Galopins" en patois local). Leur seule perspective était, à l'égal de la plupart des adultes qui les entouraient, de devenir un jour mineurs de fond (le seul espoir de gagner son pain à l'époque). Pour cela, il y avait un certain nombre d'étapes à franchir. C'est pourquoi ils n'eurent pas d'autre choix que de descendre travailler, dès leur plus jeune âge, dans les entrailles de la Terre. Ils étaient alors pris dans une sorte d'engrenage qui allait les contraindre à "zapper" leur jeunesse et à consacrer toute leur vie à un travail particulièrement pénible, malsain et dangereux.

En effet, ces gamins pouvaient descendre dans les puits dès l'âge de 8 ans. ils étaient alors affectés à diverses corvées telles que porter des lampes à huile (on les appelait "porteurs de feu") à ceux dont la leur s'était éteinte, ouvrir les portes d'aération, transporter des seaux de charbon ou autres matériaux divers. Durant cette première étape de leur formation sur le tas qui pouvait durer plusieurs années, ils étaient placés sous le contrôle d'un "Porion" (1). Ils avaient ainsi l'occasion de s'habituer, peu à peu, au milieu hostile du fond (bruit épouvantable, chaleur, poussière, manque d'air pur, etc.) ... mais, malheureusement pour eux, en échange d'un salaire ridicule. 

A l'âge de 12-14 ans environ, lorsque leurs forces physiques s'étaient développées, les Galibots étaient le plus souvent chargés d'accompagner de vieux mineurs, désormais inaptes aux durs travaux d'abattage ou de creusement. Ces vieux mineurs étaient affectés en général aux travaux d'entretien des galeries principales et secondaires, toutes équipées de soutènements en bois; ils étaient nommés "Raccommodeurs". Le rôle des Galibots consistait alors à leur amener tout le bois dont ils avaient besoin, depuis les zones de stockage souvent éloignées. Une tâche particulièrement pénible pour de si jeunes gamins, compte-tenu des nombreux allers et retours à effectuer entre les dépots de bois et les "raccommodeurs" (2)Dans des exploitations insuffisamment mécanisées, les Galibots étaient parfois contraints de remonter le charbon sur leur dos, en empruntant des échelles sur des centaines de mètres au-dessus du vide. 

Ayant pris plus de corpulence, les Galibots devenaient alors "rouleurs de berlines". Cela consistait à pousser de lourds wagonnets en acier chargés de charbon. Ceux-ci étaient attelés à d'autres et l'ensemble du convoi était tracté par un cheval vers le puits d'extraction. Une fois les wagonnets vidés, les Galibots devaient les ramener vers les points de chargement. Tout cela dans des boyaux souterrains à peine éclairés, les pieds dans l’eau, dans la chaleur moite, les visages en permanence recouverts de suie. 

Les Galibots pouvaient ensuite devenir meneurs de chevaux mais très vite, dès que leurs forces physiques le permettaient, il étaient affectés aux chantiers d'abattage ou de creusement qui étaient les mieux rémunérés. Ainsi, ils entraient dans l'âge adulte en devenant mineurs de fond.

Ces conditions de travail rudes et dangereuses occasionnèrent de nombreux accidents mortels, au point que l'opinion commença à s'émouvoir. C'est ainsi que, à partir de 1813, diverses lois furent votées en faveur du travail des enfants dans les mines (mais sans toutefois l'
interdire): 
  • 1813 : Pour les enfants de moins de 10 ans, interdiction de descendre dans les puits.
  • 1841 : Pour les enfants de 8 à 10 ans, pas plus de 8 heures de travail par jour.
  • 1874 : Pour les enfants de moins de 12 ans, interdiction de descendre dans les puits.
  • 1892 : Pour les enfants de moins de 13 ans révolus, interdiction de descendre dans les puits, sauf pour ceux ayant le CEP (Certificat d’Études Primaires).
Dès lors, les enfants ne fréquentant plus l'école pouvaient se faire embaucher à la Mine dès l'âge de 12 ans, mais uniquement pour des travaux de surface. Ils étaient le plus souvent affectés au tri du charbon, au contact des femmes qui y travaillaient également. Dans ce cas aussi, le travail était particulièrement pénible car il devait être réalisé à mains nues, dans le bruit et la poussière, à des cadences inappropriées pour de si frêles gamins (3). En revanche, ce n'est qu'à partir de ses 14 ans que le Galibot pouvait être affecté aux travaux du fond. 

Après 1918, au lendemain de la Première Guerre Mondiale qui avait décimé la plupart des hommes aptes au travail du fond (4), les Galibots furent particulièrement mis à l'épreuve. En effet, à cette époque, les familles des mineurs du fond étaient logées gratuitement par les toutes puissantes HBNPC. Or, dans l'urgence de reconstruire le pays à tout prix, les besoins en main d’œuvre étaient tels que tous les garçons de ces familles, dès l'âge de 14 ans, étaient recrutés d'office pour aller travailler au fond des mines. En cas de refus, les familles concernées n'avaient d'autre choix que de quitter le logis ou payer un loyer. 

Cette situation perdura jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. En effet fort heureusement, avec les nationalisations qui suivirent la Libération, deux Décrets gouvernementaux pris en faveur des enfants allaient changer la face des choses:

  • 1946 : Travail interdit avant l'âge de 14 ans.  Suite à cela, les HBNPC mirent en place une véritable formation professionnelle avec la création d'un CAP de Mineur. Il s'agissait d'un apprentissage sur 4 ans, en alternance (une semaine au fond avec des mineurs expérimentés/une semaine en cours d'instruction générale et de technique minière) et dans des Centres spécialisés (des maquettes précises de mines permettaient de s'initier aux techniques concernées, sans avoir à descendre au fond). 
  • 1959 : Scolarité obligatoire jusqu'à 16 ansLes HBNPC instaurèrent alors des cours de perfectionnement en formation continue, pour permettre aux jeunes mineurs qui le souhaitaient de devenir des ouvriers qualifiés.

Les Galibots existèrent jusqu’au début des années 70. C'est ainsi qu'il a été possible de recueillir les témoignages de plusieurs de ces "Gueules Noires" ayant traversé tout ce qui vient d'être décrit. Voici quatre de ces témoignages, dont un sous forme de poème, tous vraiment bouleversants 

-1-

Tu n’avais pas le choix : tu naissais dans un village de mineurs,
fils et petit-fils de mineurs.
L’école, le médecin étaient payés par la Mine.
Gamin, en partant à la fosse, je n’osais pas montrer
à ma mère que j’étais terrorisé : elle avait elle-même trop peur ...

-2-

 J’ai pris cet ascenseur qui plongeait à 16 mètres par seconde …
J’ai cru que j’allais cracher mon cœur. Arrivé en bas, je découvrais la nuit,
le vacarme des marteaux-piqueurs et la poussière.
J’avais du mal à respirer, mes oreilles bourdonnaient.
Le soir, quand je remontais enfin vers la lumière du jour,
c’était une renaissance …

-3-

Je parle en mon nom mais aussi en celui de mes jeunes copains 
à peine âgés de 14 ans en 1946, tous disparus.
Employés au fond, à la fosse 5 d'Auchel,
j'affirme que dès le premier jour nous étions opérationnels.

Souffrant alors de malnutrition, exploités inhumainement,
il nous fallait suivre la cadence que nous imposaient les mineurs.
Parfois insultés et mêmes frappés par la maîtrise,
parce que trop faibles pour transporter
ou plutôt traîner au sol de véritables troncs d'arbres,
des éléments de couloirs oscillants ou de tuyauterie, matériels très lourds.

Les galeries étaient dans un état de délabrement incroyable,
les voies de roulage usagées et déformées, en rails de 9 kg,
occasionnaient de nombreux déraillements.

Impitoyables les porions, d'ailleurs eux mêmes insultés
en cas de manque de coupe (production de charbon insuffisante),
ne se maîtrisaient plus ou moyennement.
Nous étions en quelque sorte leurs souffre-douleurs
et nos salaires atteignaient le quart de celui des mineurs.
Je me souviens d'un chef porion surnommé 100 francs par seconde.

Il faut rappeler surtout à ceux qui ont la mémoire courte
ou qui n'ont pas connu cette période,
qu'il fallait reconstruire le pays à tout prix !
Et surtout qu'à cet effet, la bataille du charbon ne faisait qu'empirer les choses.

D'ailleurs encore maintenant, s'il reste des survivants de cette période,
je les imagine tous atteint de la silicose et tragiquement diminués.
Une statistique de 2007 fait état de 58 000 mineurs sacrifiés
(tués par la silicose) et de 12 000 en attente !!

Par ce rappel, je souhaite éviter la confusion dans l'esprit des lecteurs profanes
et leur dire que les mineurs n'ayant pas vécu cette croisade
sont des 'chançards'.
Tant mieux pour eux !!!

-4-

Nous étions tous des "tiots"
Issus du même coron.
On était pas bien haut
Pour nous descendre au fond

Avec nos loques "d’fosse"
Not’ béguin, "el’barrette"
La fierté, pauvre gosse
De porter la musette.

Unis comme des frères
Avec le même sort
Les brimades, la misère
La mine, le seul décor.

Esclaves du charbon
Comme l’étaient nos anciens
Pas bleu notre horizon
Fallait gagner son pain.

Nous avons tous connu
La peur et la souffrance
Le copain secouru
Et les jours d’espérance.

De la même galère
Unis sous la terre
Un travail reste à faire
Pour que notre misère
Ne soit pas éphémère.

Beaucoup y sont restés
Dur fut le métier ! 

En illustration de tout ce qui précède, voici trois petites vidéos trouvées sur Internet (un grand MERCI à leurs auteurs respectifs):

  • La première est un splendide hommage rendu à un mineur de fond par l'un de ses enfants; elle donne une très bonne idée de ce qu'étaient à l'époque les conditions de vie et de travail dans les HBNPC. 

  • La deuxième au contenu à la fois triste et plein de tendresse, construit à partir de photos d'époque et accompagné d'une très belle musique (5), montre ce qu'était le quotidien des Galibots.

  • La troisième, articulée autour de l'immortelle chanson "Les Corons" (composée et interprétée par Michel Bachelet), est un vibrant hommage à tous les mineurs de fond de la HBNPC qui travaillèrent si durement, au total détriment de leur propre santé, pour nourrir leurs familles et participer au développement de la France.

L'histoire de ces Galibots, qui furent privés de leur jeunesse, est particulièrement poignante surtout à l'idée de savoir que, de nos jours encore, beaucoup d'enfants à travers le monde connaissent une vie semblable ... 

Sources

Les Galibots, enfants de la mine ...

Cliquer ICI

Mémoires de Mines : les Galibots dans les années 20 …

Cliquer ICI

Les garçons dans la mine …

Cliquer ICI

Mineur de fond …

Cliquer ICI


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(1) : Un "Porion" était un 
chef d'une équipe, équivalent d'un contre-maître, ayant la responsabilité d'un chantier d'exploitation du sous-sol. Ainsi, il y avait des "porions" d'abattage, des porions de roulage, des porions de sécurité, etc. L'échelon supérieur était le "Chef Porion".
(2) : 
"Des moulineurs, aux différents paliers, sortaient les berlines, les remplaçaient par d'autres, vides ou chargées à l'avance des bois de taille ..." (Zola, Germinal,1885).
(3) : Il faut cependant préciser que le salaire perçu, bien que très faible, était le bienvenu pour améliorer le quotidien des familles.

(4) : 
1 327 000 soldats français moururent, soit environ 27 % des 18-27 ans.
(5) : Il s'agit de "Wild Side", composée par Roberto Cacciapaglia.