Le Virus, les Nuls et l’Âne
J’ai lu dans un journal qu’un tout petit virus,
Désolé qu’un quidam le prît pour un minus,
Contre le monde entier partit un jour en guerre :
« On me prend pour un rien ? Ah ah, la belle affaire !
« A ces terriens vantards, montrons notre pouvoir
« Et effrayons-les tous du matin jusqu’au soir ! »
Il faut, si m’en croyez, comprendre sa colère :
Il venait parmi nous, gentil, comme un grand frère,
Juste pour taquiner un peu notre santé,
Et voilà qu’on le prend pour une nullité,
Pour un microbe vain, excrément de la terre,
A qui on rit au nez quand il faudrait se taire…
Un savant avait dit : « N’ayez aucun tracas :
« Pour un Chinois qui meurt, ne nous affolons pas !
-- Bigre », dit le virus, « j’arrête mes vacances
« Et je vais de ce pas mettre le monde en transes ! »
Car appeler microbe un virus, c’est vraiment
L’injure qui vous change un virus en dément !
Alors du nord au sud, et sur toute la terre,
Notre virus vexé déclenche sa colère ;
Il ne se contient plus, et ivre de fureur,
Il sème par le monde une invincible peur.
Les nuls qui savent tout et oublient de se taire
Se mirent à parler ; « Ah ! croyez-moi, ma chère,
Un savant professeur a trouvé les vaccins
Qui en huit jours, pas plus, nous rendront saufs et sains ! »
Un autre je-sais-tout, qui passait à la ronde,
Et qui croyait tenir tout le savoir du monde,
Disait d’un ton hautain : « Moi, je prends les paris !
« La guérison viendra des savants de Paris :
« On sait qu’il n’est bon bec que de la capitale :
« Avec eux, dans un mois, ne restera que dalle
« De toutes ces frayeurs et de nos maux présents ! »
A la télé, aussi, en mille boniments,
On parlait pour parler, on contait des histoires
Et en mille discours toujours contradictoires,
L’un annonçait des morts par milliards ou millions,
Quand un autre disait : « Peut-être par bilions ! »
Un autre nul savait que toutes les victimes
Étaient des schnocks frappés dans leur vieillesse ultime :
« Les jeunes, voyez-vous, s’en tireront toujours ! »
Et le virus, vexé, s’en prit aussi aux jours
Du jeune baladin jusqu’au quadragénaire
A qui sans distinction il réglait leur affaire.
Les profs parlaient aussi, et à cri et à cor,
Ils expliquaient surtout leur profond désaccord.
L’un disait être sûr que la coronarine
Tuerait mieux le virus que la pénicilline;
Un autre répliquait (c’était un grand savant)
Qu’il misait avant tout sur le confinement,
A condition qu’on prît avec de la bourrache
Une décoction de salade de mâche !
La télé s’empara de ces propos divers
Et vous les répandit à travers l’univers,
En transformant la peur déjà toute puissante
En une terreur vaste, horrible, envahissante.
C’est ce que de nos jours, on appelle « informer » !
Et pour informer plus, sans mesure affirmer
Le plus avec le moins, le tout et son contraire,
Le blanc avec le noir, les deux qui font la paire,
Et tous les racontars, dont nul n’est bien certain
Et dont on nous repaît du soir jusqu’au matin !
Un âne qui lisait le Fig-haro Madame,
Me livra sagement son petit état d’âme :
Âne comme il était, il trouvait anormal
Qu’il eût à discuter du virus et du mal !
Comme il ne savait rien de l’un comme de l’autre,
Il préférait se taire en mangeant son épeautre,
Et laisser ces quidams, qui passaient tout leur temps
A disserter sur tout, jouer aux gens savants…
« Je suis âne, il est vrai, j’en conviens, je l’avoue ;
« Mais que le monde entier ou me blâme ou me loue,
« Lorsque je ne sais pas, ma foi, je ne dis rien ! »
C’est ce que fit ce sage : il le fit et fit bien !
Paul Fabre (Alès, avril 2020)